Le théâtre, cet art qui a su
conquérir les peuples de civilisations diverses, se révèle le garant de leur
liberté et les conduira sur la voix du progrès, de la démocratie et de
l\'accomplissement de leurs rêves ancestraux. Dès la préhistoire d\'Haïti, le
théâtre s\'est avéré un art au service de ses habitants qui s\'en servaient
pour chanter, danser, dire leurs vies, leurs amours, leurs joies, leurs
tristesses, leurs angoisses. La croyance en leur dieu Zémès n\'empêchait pas
les primitifs de l\'ère \"caciquesse\" de se livrer aux plaisirs des
arts de la scène. Bien avant l\'arrivée de Christophe Colomb en Haïti, ses
habitants étaient de vrais aficionados du théâtre joué qui était une
conséquence obligée de leur croyance en leur dieux Zémès . La reine Anacaona,
un des six (6) caciques de l\'île, ne manquait pas de faire valoir ses talents
d\'artiste pour le plus grand plaisir de ses admirateurs. Dans les barbacos,
grande fête populaire en pleine nature, au cours des représentations sacrées
des prêtres butios, le gestuel se liait à la danse et à la chanson, comme le
sacré au profane, pour donner lieu à un spectacle théâtral, un \"théâtre
de verdure\". La période coloniale, malgré tout ce qu\'elle comportait de
néfaste dans notre vie de peuple, offrait des espaces de béatitude à l\'art
dramatique et au genre lyrique. C\'est par centaines qu\'on comptait les
actrices et les acteurs qui, par leur incroyable talent, charmaient les
habitants de l\'île. Le grand nombre de salle disponibles à l\'époque était
chose inouïe. A cette époque, des compagnies de foire continuaient la tradition
de spectacles en plein air des autochtones. Parallèlement, les esclaves
créaient leur théâtre pour dénoncer les travers du système esclavagiste. L\'un
des plus beaux livres écrit sur cette période, et qui relate à merveille le
théâtre à St-Domingue, fut celui de l\'excellente romancière Marie CHAUVET, «
Danse sur le volcan ». Elle nous apprend qu\'en ce temps là, le théâtre
lyrique, l\'opéra, brillait de tous ses feux sur les planches sacrées de l\'île
magique. Le classicisme français arrivait aux créoles de St-Domingue et à
d\'autres couches sociales par le biais des troupes dramatiques de la métropole
française. De nombreuses salles de spectacle conçues pour les recevoir,
disséminées ça et là, ne se sont malheureusement pas conservées. Il en reste
cependant quelques traces. A part des troupes venues du dehors, il en existait
des dizaines d\'autres, formées sur place, qui représentaient non seulement des
pièces française, mais aussi celles du terroir en français et en créole. Ce fut
une période riche en activités théâtrales. Le répertoire des oeuvres présentées
au XVIIIe siècle, tant en quantité qu\'en qualité, traduisaient le brûlant
désir des hommes libres de cette époque florissante de hausser,jusqu\'à son
plus haut sommet, l\'art des dialogues. Les esclaves, eux, pour monter sur les
planches, n\'avaient d\'autres recours que de se choisir d\'autres scènes et
nulle autre ne leur était plus favorable que celle du péristyle, lieux
privilégiés des dépossédés enchaînés et des marrons, pour exprimer leur
religiosité, leur idéal de la liberté, de l\'égalité et de la fraternité . Les
citoyens se montraient actifs. Bay répétait une pièce sur la déclaration des
droits de la liberté générale, d\'autres s\'évertuaient dans la création de
pièces en créole ou s\'exerçaient dans la mise en oeuvre d\'un opéra, genre
d\'ailleurs bien apprécié dans cette Saint-Domingue aux mille conflits. Il n\'y
avait pas que ceux qui demeuraient dans la colonie française qui produisaient
pour la scène. Des nègres à talent, revenant de la métropole, se montraient
aptes, grâce à des techniques apprises, à écrire des pièces et à former des
troupes pour les jouer. Cette capacité acquise était due à l\'énergie qu\'ils
avaient déployée pour apprendre et au souci constant de s\'améliorer pour
devenir, dans leur territoire d\'origine, les porte-fanions du bel art de la
scène. A la fin du siècle des lumières, la Révolution haïtienne naissait et se
développait. C\'était un véritable théâtre qui se jouait dans la pénombre des
bourgades, des villes et des mornes : une tragédie en deux actes mettait fin à
une comédie qui avait assez duré. La révolution antiesclavagiste et
anticoloniale ouvrait la voie à une nouvelle vision de l\'homme. Le théâtre de
la rue l\'emportait sur celui des salles, dont plusieurs avaient fermé leurs
portes par manque d\'oeuvres valables. Les quelques comédiens et dramaturges
français qui avaient survécu à l\'écumante et coléreuse marée de la Révolution
haïtienne ont été d\'un apport précieux au théâtre nationale d\'Haïti. Il
naîtra après 1804, dans ses formes littéraires et scéniques avec les qualités
et les défauts de tous nouveaux-nés. Il lui avait fallu du temps pour trouver
son équilibre et se surpasser. Le peuple haitien continue, envers et contre
tout, à se passionner de chansons, de danses, de spectacles, et ceci depuis les
plus hauts placés jusqu\'aux plus humbles. Le théâtre haïtien, né dans le
contexte de la nouvelle société, prit du temps, une bonne trentaine d\'années
après la révolution, avant de commencer à trouver son équilibre et d\'aller à
pas sûrs vers les voies lumineuses qui s\'offraient à son épanouissement.
Beaucoup de formes nouvelles de théâtre ont émergé pour traduire et de
façon originale l\'Haitien, son âme, ses moeurs, ses légendes, son histoire
dans son avancée tantôt lente, tantôt accélérée, mais conforme aux besoins de
l\'heure. Les premières pièces à l\'affiche ont été, disons le, médiocres. Il
suffisait à un auteur dramatique d\'exalter la foi en la patrie, même en
négligeant l\'aspect esthétique, pour que la nouvelle génération des
spectateurs s\'y accroche. Si nous faisons un grand bond en avant pour aboutir
aux années funestes du duvaliérisme, on remarque tout de suite la tendance
soulignée plus haut : beaucoup trop de place est accordée à la propagande
politique qu\'a la recherche esthétique. Les créateurs de la scène et du 7e art
dans les années 70 et 80 du siècle dernier se sont laissé prendre au piège de
l\'anti-duvaliérisme, du misérabilisme, du populisme au rabais. Les plus
talentueux s\'en sont vite sortis pour produire des oeuvres d\'une haute
qualité et d\'un haut niveau. De grands artistes et des personnalités de
lettres se sont fait remarquer par leur inventivité sans cesse renouvelée :
Syto CAVE et Guy Junior REGIS pour le théâtre, Raoul PECK et Arnold ANTONIN
pour le cinéma, Edwige DANTICA et Kettely Mars pour le genre romanesque et
toute une pléiade de romanciers haïtiens qui étonnent et font avancer à grands
pas le genre romanesque haïtien par leur créativité digne du genre. Quant à
d\'autres domaines tels que la danse, la musique, la chanson, la poésie, la
peinture, des talents émergent sans cesse. Le pouvoir politique semble oeuvrer
dans le sens de leur voeux le plus cher et ce sera sa part de cadeau à la
culture haïtienne. Le théâtre haïtien pourra enfin ouvrir ses ailes pour se
lancer vers des horizons lumineux. Les feux de la rampe, pleins d\'allant,
éclaireront les innombrables scènes placées en tous lieux, partout où il y a
âmes haïtiennes qui vivent. Ainsi, on pourra assister, et sans préjugé aucun,
au premier opéra populaire haïtien, « Maryaj Lenglensou » sur toute l\'étendue
du territoire et à des projections du classique « Anita » au 30e anniversaire
de sa création. A suivre
Auteurs: Yve MEDARD et Rassoul LABUCHIN
Source: Le nouvelliste
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