Dans Les Damnés de la terre, Frantz Fanon (1966 : 34) a pointé du doigt la fonction idéologique et justificatrice du christianisme dans les sociétés d’exploitation. Il l’a énoncé avec clarté :

Les communiqués triomphants des missions renseignent en réalité sur l’importance des ferments d’aliénation introduits au sein du peuple colonisé. Je parle de la religion chrétienne, et personne n’a le droit de s’en étonner. L’Église aux colonies est une Église de Blancs, une Église d’étrangers. Elle n’appelle pas l’homme colonisé dans la voie de Dieu, mais bien dans la voie du Maître, dans la voie des oppresseurs. Et comme on le sait, dans cette histoire, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus.

En Haïti, la réalité du christianisme postcolonial ne semble pas échapper aux critiques de Fanon. Plusieurs études sur les représentations religieuses en Haïti évoquent des situations d’aliénation, de classe dominante ou d’impérialisme religieux lié aux impérialismes culturels et politiques euro-américains. Les auteurs mettent souvent l’accent sur les conséquences de l’intériorisation et l’extériorisation des croyances religieuses sur le comportement social. Que ce soit Romain (1979), Hurbon (1987; 1989), Souffrant (1995) ou Laventure (1998), pour ne citer que ceux-là, ils ont mis en relief la division de la société en classes, le rôle déterminant de la structure, du « tout sur les parties ». Ils mettent en exergue la capacité aliénante de la religion dans l’intérêt des puissants du système capitaliste au détriment des masses exploitées.

 

Samuel REGULUS

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