En lien avec les traces laissées par l’histoire d'Haïti et dans le contexte du biculturalisme haïtien (Raphael, 2006), la culture créole haïtienne a souvent été perçue de façon négative par les Haïtiens eux-mêmes. Le regard du monde contemporain tend à accentuer encore plus cette perception. Frantz Fanon, en parlant de peaux noires et de masques blancs, l’a exprimé de cette façon. En effet, aujourd'hui, les lieux d'enseignement congréganistes, les écoles publiques et privées, beaucoup de citoyens et de citoyennes haïtiens de la société civile continuent de considérer la langue créole haïtienne, le vodou haïtien, les pratiques des « doctè Fèy », des « oungan » et des « mambo », comme affiliés à des « personnes non civilisées ». Cette dévalorisation culturelle a des impacts négatifs tant sur le plan individuel que sur le plan collectif et s’inscrit dans l’histoire esclavagiste du peuple haïtien.

 

En effet, comment s’expliquer l’état de déchéance socio-économique et politique dans lequel se trouve le pays depuis tant d’années ? Il est autant difficile pour les Haïtiens et les Haïtiennes que pour les étrangers et étrangères de comprendre cette descente aux enfers d’aujourd’hui, lorsque l’on constate, entre autres, le contrôle de l'État par des chefs de bandits et le comportement grossier de certains élus au sein de l'institution d’État qu’est le Parlement. Pourquoi l'exemple des ancêtres et la devise nationale l'union fait la force, ne peuvent-ils pas constituer des modèles pour faire de ce pays un havre de paix ?

D’autres pays ont vécu, il est vrai, des destins semblables. Dans son livre Civilisation ou Barbarie, Cheikh Anta Diop fait référence à l'Égypte qui a connu ce cheminement, passant de pays de grande civilisation à une Ère de décadence sous les Romains au IIème siècle après J.C. L’auteur s’est alors demandé pourquoi des peuples de grande histoire sont tombés si bas (C.A. Diop, 1981). Ainsi, la question peut aussi se poser en particulier pour Haïti: La grandeur de la geste de 1804, par la libération du système esclavagiste et par la création d'une nouvelle nation avec sa langue, sa religion, sa médecine, sa culture, laisse aussi perplexe devant la situation actuelle du pays.  

La réponse de C.A. Diop s'exprime ainsi : « ...le facteur historique est le ciment culturel qui unit les éléments disparates d'un peuple pour en faire un tout par le biais du sentiment de continuité historique vécu par l'ensemble de la collectivité. C'est la perte de ce sentiment de continuité historique, de cette conscience historique qui engendre la stagnation ou même parfois la régression, la désagrégation et le retour partiel à la barbarie (Ibid,272)»

 

Après 1804, il y a eu effectivement une rupture, une fracture historique en Haïti. Comme par magie, les groupes culturels des anciens et des anciennes esclaves créoles et des affranchi-e-s ont disparu. Les identités culturelles se présentent, dès lors, sous forme caricaturale avec des libellés comme Peuple analphabète, « Gwo Pèp la », « Gwo Zòtèy », « Wòch nan solèy » désignant le premier groupe, et d’Élite, Tête pensante, Avant-gardiste pour le deuxième. En réalité, notre hypothèse est que la disparition des concepts de culture créole et de culture des affranchi-e-s a favorisé  l’effacement des racines culturelles qui contribue à la perte de l’identité et du sentiment d’affiliation.

La conjoncture désastreuse qui sévit actuellement est, sans doute, l'expression des problèmes d’identité culturelle, de manque d’estime de soi et d’absence de sentiment d’appartenance à la famille, aux régions, à la nation.


Source: Obrillant DAMUS/ Culture créole haïtienne et problématiques identitaires